par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 6 novembre 2024
François Ruffin et Gilles Perret proposent à Sarah Saldmann l’expérience filmée d’une petite tranche de vie au SMIC. Au début, le spectateur peu informé doute du statut de cette télégénique chroniqueuse, qui dénonce sur RMC les smicards prodigues, les assistés feignants et autres resquilleurs du RSA, assez rusés pour éviter de traverser la rue. Elle semble être une bonne copine de François Ruffin, serait-ce une comédienne ? Non, elle se révèle être une vraie journaliste ultra libérale qui a le mérite d’affronter l’épreuve, sous l’œil bienveillant des travailleurs qui paraissent eux aussi être des artistes.
Sarah Saldmann enfile donc les vêtements de travail et équipements de protection individuelle pour entr’apercevoir la condition d’aide-soignante, de chauffeur livreur, de conditionneurs de poissons, de restaurateurs, de manutentionnaires, de femmes de chambres, tous au travail minuté.
Il y a aussi des inaptes accidentés, des reconvertis, des précaires, des enfants des quartiers de Grigny et bénévoles du Secours populaire, des smicards ou des rmistes, tous sages, courageux et conscients de l’importance de leur travail, soulagés quand leur statut se stabilise.
Les auteurs du documentaire auraient pu ajouter des usagers réclamant comme un dû la régularité des services parmi les boucs émissaires qui réclameraient trop de prise en charge, ou distiller les rumeurs dénonciatrices de supposés profiteurs au-delà d’une influenceuse de télé. Mais c’est un récit justement simplifié, au format classique du documentaire, sans effets spéciaux ou recherche esthétique. La chroniqueuse est la seule accusatrice, dénonçant les abus des chômeurs, François Ruffin et Gilles Perret ne faisant aucune concession à ses mises en cause des perdants ou des repêchés sur des travaux d’intérêt général. Le stage de Sarah Saldmann est un peu écourté, et la voilà qui rejoint une chaine de droite, tout aussi teigneuse qu’avant sa visite au peuple. Mais le spectateur sait que sa valorisation à elle aussi est précaire, et que sa découverte de l’intelligence populaire lui permettra peut-être, le moment venu, de se libérer du schéma des perdants-coupables.
Le film est une sorte de conte, sur la reconnaissance du caractère respectable du travail, sur la dignité et le savoir vivre des déclassés reconnus par des diffamateurs professionnels (la chroniqueuse). Il nous suggère une approche constructive de la lutte de classes.
C’est une approche militante de la politique, plus idéologique que centrée sur les jeux de pouvoir, et peut-être que, finalement, la participation originale de cette journaliste un peu provocante permettra d’élargir utilement le public de ce documentaire. Quant à la journaliste, elle a quand même eu un certain mérite d’accepter le jeu que lui a proposé François Ruffin, jouant exclusivement sur la relation personnelle, et donc faisant usage d’une bonne "collaboration de classe". Elle aura pu constater que les "assistés" travaillent aussi. Quand elle aura rejoint son monde, elle pourra se prévaloir de son expérience pour distinguer les "bons pauvres" de tous les nombreux autres. Jusqu’au jour où, peut être, marginalisée elle-même, elle se souviendra de l’expérience.
Après J’veux du soleil (2019, et Debout les femmes (2020) (1) Au boulot ! consolide la coopération entre François Ruffin, député de gauche, et Gilles Perrret, réalisateur de nombreux documentaires d’histoire sociale (2). Ils aiment les gens et réveillent la sympathie enfouie sous des couches de commentaires sans charme. Mais est ce qu’ils aiment les gens qui n’aiment pas les gens ?
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
1. "Debout les femmes", Jeune Cinéma en ligne directe.
2. Depuis 1999, Gilles Perret a réalisé 18 films. Dont les derniers, seuls : "La Sociale", Jeune Cinéma n°377, décembre 2016 ; "Reprise en main," Jeune Cinéma en ligne directe ; "La Ferme des Bertrand", Jeune Cinéma en ligne directe.
Au boulot ! (Peut-on réinsérer les riches ?). Réal : Gilles Perret & François Ruffin ; ph : Gilles Perret ; mont : Cécile Dubois. Avec François Ruffin, Sarah Saldmann, Marion Grange, Sandrine Delaporte Maëlle Perret (France, 2024, 84 mn). Documentaire.