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Zone d’interêt (la) (2023)
de Jonathan Glazer
publié le mercredi 31 janvier 2024

par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°423, été 2023

Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2023.
Grand Prix

Sortie le mercredi 31 janvier 2024


 


Rudolf Höss, commandant d’Auschwitz, est agréablement installé à la lisière du camps avec sa femme Hedwig, leurs 5 enfants, servis par plusieurs domestiques qu’ils croisent sans les voir. Il lit des histoires à ses enfants le soir, le jardin est fleuri, les ors du théâtre sont bien entretenus, il aime son cheval.


 


 


 

Il tousse un peu mais le ronflement discret des machines à tuer, les fumées noires des fours l’assurent, de chez lui, du bon fonctionnement permanent des opérations, à peine plus polluants que la proximité d’une autoroute. Une mutation vers Orianenbourg s’annonce qui parait injuste compte tenu de ses performances, d’autant que sa femme tient à rester dans cette zone of interest. L’attribution au camps d’Auschwitz de l’importante mission de liquider 700 000 Hongrois est une bonne aubaine pour sa carrière.


 


 

En attendant, la vie familiale est tranquille, la circulation dans la maison est filmée de plusieurs points de vue, chacun s’affaire, sait de quoi il s’agit mais éclipse ce monde caché abstrait qui gronde sourdement tout près. Plusieurs mondes coexistent sans se croiser. La grand-mère en visite ne s’attarde quand même pas, et il y a cette jeune fille à vélo qui apparait en lumière négative, ramassant des pommes qu’elle laisse où les affamés pourront les trouver.


 


 

Le film aborde ce sujet indéchiffrable de l’indifférence des tueurs, tant les opérateurs, que leur entourage qui semble décérébré. L’indicible à peine détectable derrière le calme d’une ville, d’un jardin, de créatures dont on ne sait si elles appartiennent à la nature ou à la civilisation. La résonance sourde des cris et des machines de l’innommable, la musique obsédante de Mica Lévi (alias Micachu) achèvent de suggérer que le scénario qui parait daté n’est pas achevé : pas de pause, pas de fin au film.


 


 

Devant ce film, les références sont multiples et traditionnelles, depuis "l’obscénité du travelling" de Jacques Rivette en 1961 à propos de Kapo de Gillo Pontecorvo (1960), jusqu’à la fameuse "banalité du mal" du rapport Eichmann de Hanna Arendt en 1963, en passant par l’évocation des films La Liste de Schindler de Steven Spielberg (1993), ou Le Fils de Saul de László Nemes (2015). (1)


 


 

On peut aussi penser à Theodor Kotulla (1928-2001), qui avait adapté La mort est mon métier, le roman de Robert Merle (1952) pour un film qui n’est jamais sorti en France (2). Le titre original de son film était Aus einem deutschen Leben ("D’une vie allemande"). Dans un entretien (3), le cinéaste déclarait : "Le roman de Robert Merle m’a montré qu’on pouvait traiter ce thème comme une fiction. Je crois que la fiction est une forme juste, pour affronter notre passé allemand. Les hommes qui ont fait des choses horribles, ce n’était pas des sadiques cyniques, c’était des hommes tout à fait normaux. Je voulais que le spectateur allemand se reconnaisse dans mon personnage [...] Il est très difficile de représenter l’horreur des camps dans un film de fiction. Alors, j’ai travaillé avec une autre méthode, celle de l’allusion, de l’ellipse".


 


 

Zone of interest s’inspire d’un roman de Martin Amis qui est mort le 19 mai 2023, au moment de sa projection à Cannes. Hedwig est incarnée par Sandra Hüller, héroïne aussi de Anatomie d’une chute de Justine Triet, Palme d’or 2023 (4). Christian Friedel, qui tient le rôle de Rudolf Höss, est un habitué de Cannes, avec Ruban Blanc de Michael Haneke palmé en 2009, et Amour fou de Jessica Haussner sélectionné en 2014 (5).

Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma n°423, été 2023

1. "Le Fils de Saul", Jeune Cinéma n°366-367, été 2015

2. "La mort est mon métier," Jeune Cinéma n°361-362, automne 2014

3. "Entretien avec Theodor Kotulla (1928-2001)", Jeune Cinéma n°115 décembre 1978-janvier 1979

4. "Anatomie d’une chute", Jeune Cinéma n°423, été 2023

5. "Amour fou", Jeune Cinéma n°360, été 2014.


La Zone d’intérêt. (The Zone of Interest). Réal, sc : Jonathan Glazer d’après le roman du même nom de Martin Amis ; ph : Łukasz Żal ; mont : Paul Watts ; mu : Micachu ; déc : Chris Oddy. Int : Sandra Hüller, Christian Friedel, Max Beck, Ralph Herforth, Stephanie Petrowitz, Marie Rosa Tietjen, Sascha Maaz, Lilli Falk (USA-Grande-Bretagne-Pologne, 2023, 105 mn).



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