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Lynch, David (né en 1946)
Le cinéaste et l’inconscient
publié le lundi 22 juin 2020

L’étrange voyage
par Olivier Varlet
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

suivi de

Appendice
Jeune Cinéma n°291, septembre-octobre 2004
 


 

Ma sœur avait peur des petits pois,
parce qu’ils sont durs à l’extérieur et mous à l’intérieur

David Lynch


Le thème du voyage parcourt l’œuvre de David Lynch.
Il constitue la trame de nombreux de ses films : Sailor et Lula (1990) est un road-movie existentialiste, Lost Highway (1997) plonge dans une fuite cauchemardesque au bout d’une autoroute qui se perd en plein désert, Une histoire vraie (1999) suit Alvin, un octogénaire qui parcourt 500 kilomètres sur une tondeuse à gazon pour aller se réconcilier avec son frère malade, ou, encore, Mulholland Drive (2001) débute par un trajet, si brutalement interrompu, que Rita, la protagoniste, ne sait plus comment le reprendre.
Et puis, il y a Dune (1984), où l’épice, objet de toutes les convoitises, permet de se transporter dans l’espace sans se déplacer.

Cette antinomie est à l’image du cinéma de Lynch, qui nous invite à entreprendre un étrange voyage. Pour nous guider, il filme de manière récurrente la ligne jaune des routes américaines. Mais, à l’écran, elle apparaît perpendiculaire à l’horizon (cette limite du visible) et tend vers un point situé bien plus loin. Ce point invisible, où tout converge, pourrait bien symboliser notre inconscient (sur la route, l’automobiliste ne suit-il pas la ligne jaune sans même la voir ?).
Et cet étrange voyage doit nous mener en nous-mêmes, où nous découvrirons des angoisses et des pulsions trop longtemps refoulées, pour, peut-être, enfin nous éveiller à la conscience.


 

Regarder vers l’intérieur...

 

Le talent de David Lynch est de filmer ce qui semble impossible à représenter : l’inconscient.

Pour ce faire, il doit se glisser à l’intérieur de ses personnages et voir le monde par leurs yeux. Mais, l’image n’est plus, alors, le reflet d’une réalité objective - si tant est qu’elle soit unique - mais la plaque photographique de l’univers mental d’un individu. Et il faut, au spectateur, réapprendre à regarder, pour exorciser des apparences trompeuses. Les génériques et prologues de ses films nous font prendre conscience que ce n’est pas la réalité au sens usuel que nous allons voir.

Son premier long métrage, à la limite du cinéma expérimental, Eraserhead (1976), s’ouvre par un fond noir sur lequel flotte la tête du protagoniste, Henry, qui s’efface peu à peu pour laisser entrevoir une forme ronde : une planète miniature nue et accidentée, que la caméra va survoler avant de s’y engouffrer. C’est dans l’enfer du monde mental de Henry que nous allons plonger.


 

La fin du prologue de Blue Velvet (1986), porte le même avertissement. En revenant de l’hôpital où il est allé voir son père, un jeune homme, Jeffrey, découvre au milieu d’un terrain vague ce qui sera le moteur de l’intrigue : une oreille coupée. La caméra, qui la focalise de plus en plus, s’introduit dans le conduit auditif. À la fin du film, dans un mouvement inverse, la caméra ressortira de l’oreille de Jeffrey, fermant ainsi une parenthèse terrifiante dans son existence - Blue Velvet constituant un voyage initiatique sur lequel nous reviendrons.


 

En voyant le film de l’intérieur, par les yeux du protagoniste, la réalité est soumise à de nombreuses distorsions. On les retrouve dans la manière dont David Lynch traite le temps et l’espace qui structurent le récit et recompose le monde au gré des personnages. Si ses films déstructurent fréquemment le temps, c’est pour faire se rapprocher les événements disjoints qui forment cependant la continuité des personnages. Lynch joue sur les coupures ; loin d’enchaîner les scènes en douceur pour faire oublier le montage, il met les raccords en lumière.

Dans une scène de Sailor et Lula, où Lula dans son hôtel parle d’aller danser le soir, on la voit marteler impatiemment de ses pieds nus le matelas de sa chambre, puis (cadrés à l’identique) ses pieds chaussés poursuivent le même mouvement sur le sol d’une boite de nuit - cela sans qu’aucun plan de coupe ne prépare une telle ellipse temporelle.
Ainsi, Lynch réalise le désir de Lula qui voudrait déjà que le soir soit venu. Cela traduit la volonté de retranscrire l’univers du personnage plus qu’une logique rationnelle. Pour se faire, il délaisse souvent un temps linéaire (celui du narrateur omniscient classique) pour un enchaînement non-linéaire propre à rendre le cheminement intérieur.


 

La circularité de Lost Highway en est un exemple frappant. Le film décrit l’enfermement progressif d’un schizophrène, Fred, dans deux univers dont l’un n’existe que pour lui (et pour nous, par son regard). C’est ainsi que dans la dernière scène du film il prononce lui-même à son interphone la phrase qu’on l’avait vu entendre dans la première scène, bouclant le temps sur lui-même comme une bande de Möbius (les génériques - où file la ligne jaune d’une route éclairée par les feux d’une voiture fonçant dans la nuit - pourraient d’ailleurs en être les deux bouts raccordés). Et ce dérèglement temporel souligne que Fred est le propre artisan de son égarement.

L’espace est tout autant distordu. Dans la première scène de Lost Highway, Fred est filmé de profil droit puis, sans plan de coupe, de profil gauche alors que le décor derrière lui reste identique, ce qui est topographiquement illogique. Le miroir, qui crée cette illusion, est rendu quasi-invisible par la mise en scène, pour produire le sentiment d’une hallucination qui dédouble Fred, suggérant, dès les premiers plans, sa schizophrénie, et nous faisant voir double, tout comme lui.


 


 

Regarder le monde par les yeux des protagonistes, c’est aussi risquer d’y voir leurs projections mentales.

À plusieurs reprises dans Twin Peaks : Fire walk with me (1992), deux personnages évanescents, une grand-mère et son petit-fils, apparaissent et disparaissent du cadre, comme les arbitres d’un destin que Laura, la Miss Twin Peaks, sent se refermer autour d’elle.
Sailor et Lula, eux, voient apparaître sur leur route la bonne fée et la méchante sorcière du Magicien d’Oz qui les guide ou les déroute selon l’occasion. Fred est poursuivi par un nain au visage blafard et grimaçant, toujours prêt à lui faire perdre un peu plus pied.
Quant à Henry, dans Eraserhead, son enfer mental est réglé par un étrange machiniste, nu comme un verre et difforme, qui tire régulièrement sur des leviers provoquant d’étranges réactions dans son univers. Ces personnages n’apparaissent pas au hasard, ils sont présents dans les scènes où les protagonistes se livrent à des actes impulsifs, voir compulsifs. Ils semblent donc être la personnification de l’inconscient dans les méandres de symboles des films labyrinthiques de Lynch.

Pas de doute, désormais les films sont vus depuis le cerveau des personnages. Et Twin Peaks : Fire walk with me en propose une métaphore troublante. David Lynch y met en scène un lieu énigmatique, la "Red Room" (un espace cubique clos par des rideaux rouges et dont le sol carrelé est zébré de noir et blanc), qui accueille les personnages pendant leur sommeil, quand leur conscience se relâche.
Les esprits qui cherchent repos et réponses y sont reçus par un arbitre du bien et du mal, également admis, en la personne d’un nain parlant à l’envers - nain que l’on retrouvera dans Mulholland Drive en maître d’un lieu tout aussi mystérieux où que les gens de l’extérieur, cette fois, ne peuvent pas pénétrer et où pourtant se décide leur avenir. Cette "Red Room" est d’autant plus symbolique qu’elle est aux personnages ce que le film est au spectateur : une parenthèse où il vient chercher des réponses aux questions intimes qu’il se pose.


 

 

... Pour se redécouvrir

 

Maintenant que la réalité objective a fait place à une vision subjective, les protagonistes percent peu à peu de la dure carapace de leur personnage social pour atteindre leurs émotions intimes - celles parfois si troublantes qu’ils n’avaient jamais osé se les avouer. Lancés à la découverte d’eux-mêmes dans cet étrange voyage intérieur, ils vont plonger dans le magma de leur inconscient, pour bientôt découvrir les angoisses existentielles et pulsions refoulées qui les hantent. Les personnages de Lynch seraient-ils comme les petits pois qui faisaient peur à sa sœur ?

Cette dualité apparence / essence, trouve son incarnation la plus évidente dans le personnage de John Merrick. The Elephant Man (1980) (1) raconte l’histoire d’un être dont les malformations congénitales avaient tracé un triste destin de phénomène de foire. Mais un anatomiste compatissant le remarque et décide de l’arracher au forain peu scrupuleux et brutal qui l’exploite. Enfin traité en être humain, John Merrick révèle un esprit intelligent et sensible, et réapprend à communiquer.


 

Mais David Lynch ne fait pas d’angélisme pour autant : sous des dehors policés pleins de sollicitude, le monde de la bonne société dans lequel pénètre le personnage n’est pas moins cruel que celui des foires. John Merrick reste une attraction ; ce sont ses malformations qui intéressent l’anatomiste pour qui il est un étonnant sujet d’étude. Quant au gens de la Haute, ils viennent se donner des frissons au contact d’un monstre que la douceur d’âme rend fréquentable. Certes, on ne l’exhibe plus sous les quolibets pour quelques pièces, mais a-t-il, pour autant, surmonté sa différence ?

Pour se redécouvrir, les personnages de David Lynch tentent d’entrouvrir la porte de leur inconscient.

Dans Eraserhead, le monde apocalyptique dans lequel vit Henry, filmé en plans fixes, ne lui réserve aucune révélation (la fenêtre de sa chambre donne sur un mur en brique), mais au fond de son cerveau se cache un mystère (son imagination lui ouvre, derrière son mur, un univers fait de lumière, parcouru en travellings, où il cherche un apaisement).
Dans Mulholland Drive, pour Rita, qui est amnésique, les objets - réminiscences d’un passé oublié ou recomposition d’un présent incertain - sont autant de portes qui ouvrent vers un monde parallèle. Les portes, elles, n’ouvrent que sur la réalité ; mais une réalité dont le sens échappe à Rita qui n’en possède pas la clé. Cette clé est perdue quelque part au fond d’elle, dans cet univers fantasmé où se déguisent ses souvenirs.


 


 

Mais, en entrouvrant la porte de leur inconscient, les personnages sont parfois confrontés à un tel réservoir de pulsions refoulées qu’ils ne se reconnaissent plus. Apparaissent alors dans leur monde d’étranges doubles exutoires qu’il leur faudra identifier.

Le scénario de Lost Highway est construit en deux parties qui se répondent en négatif. La première présente un saxophoniste, Fred, à la vie bien réglée et marié (à une brune introvertie interprétée par Patricia Arquette). La deuxième suit Pete, un jeune homme qui tombe amoureux d’une femme fatale (une blonde irradiante interprétée par la même Patricia Arquette). Au centre, pour passer de l’une à l’autre, arrive un événement improbable caractéristique de la non-linéarité lynchienne : un matin dans la prison où Fred est détenu pour le meurtre de sa femme, le gardien a la stupéfaction de ne plus l’y trouver, mais de découvrir, en sa place, un jeune homme - Pete - qui, vu la situation, ne peut qu’être relâché. La fin du film interchange de nouveau Fred et Pete, ou plutôt les superpose. Car les continuels effets de miroirs de la mise en scène révèlent alors - par accumulation - qu’il s’agit d’un même personnage.


 

L’apparition, puis la fuite en avant de Pete, prennent, rétrospectivement, un sens bien particulier. Elles illustrent une plongée dans l’univers fantasmé d’un schizophrène - dédoublé au sens propre puisque que le film est vu par son regard. La présence dans les deux volets de l’histoire de la même femme (brune ou blonde) devient alors naturelle. Le dédoublement de Fred / Pete n’arrive pas au hasard : il se produit lorsqu’il est obligé de s’avouer que sa relation conjugale est un échec. Mais comme il n’accepte pas cette idée, il s’invente un double qui pourra tout recommencer en rencontrant le double idéalisé de sa femme (en blonde) ; c’est à dire en se replaçant au commencement de son histoire d’amour. Comme il ne peut pas indéfiniment se mentir, lorsque Pete / Fred fait l’amour à cette blonde au bout de "l’autoroute perdue" et lui susurre "je te veux", l’impossibilité de vivre cette existence imaginaire lui est retournée par sa réponse "tu ne m’auras jamais" - ce que semblait déjà dire à Fred les silences gênés de la brune de la première partie. Et, à ce moment précis, Pete redevient celui qu’intérieurement il n’a jamais cessé d’être, Fred.

Dans Twin Peaks : Fire walk with me, apparaît un autre double inquiétant. La nuit, Laura est possédée par un mystérieux démon incube. Elle a conscience qu’il n’est qu’une projection de son esprit et tente de pénétrer son inconscient pour découvrir son identité. Elle finira par réaliser douloureusement que ce masque cachait un visage qu’elle ne voulait pas voir, celui de son père.


 

 

... Et, peut-être, s’éveiller à la conscience

 

Les personnages de David Lynch ont entrouvert la porte de leur inconscient et y ont vu un brasier. Vont-ils se brûler au feu (élément récurrent de son univers) de leurs pulsions, ou parviendront-ils à les apprivoiser dans un salutaire éveil à la conscience ? De nombreux personnages y sont submergés par leurs démons intérieurs et risquent un tragique repli sur soi. Il n’est pas rare d’y trouver des dépressifs qui sombrent dans un enfermement psychotique.

Ainsi, dans Sailor et Lula, la mère de Lula tente tout ce qu’elle peut pour séparer les amoureux, car elle ne supporte pas de se voir vieillir pendant que sa fille devient une femme. Paradoxalement, elle est une femme-enfant qui tout au long du film est sous la coupe de protecteurs masculins qui l’infantilisent et avec qui on ne la voit jamais faire l’amour. Alors que Lula, au contraire, sous ses airs de petite fille est une femme mature et sexuellement active.
Dans Twin Peaks : Fire walk with me, si Laura tente de se cacher son horrible vérité familiale, cela ne contribue qu’à faire croître en elle la culpabilité - si fréquente chez des victimes d’inceste - et le dégout qui la ronge. Si bien que, le soir, elle se drogue et se prostitue dans des bars glauques pour salir l’image virginale de Miss Twin Peaks qu’elle incarne - s’effacer elle-même, comme le suggérait déjà le titre de Eraserhead.
Plus illusoire encore que le repli sur soi, pour tenter vainement de renier leurs démons intérieurs, certains personnages rêvent d’une (impossible) renaissance. Comme Fred, dans Lost Highway, qui s’invente un double, ou Rita dans Mulholland Drive, dont l’amnésie est l’objet de trop d’enjeux pour être fortuite.
Mais, l’exemple le plus frappant se trouve dans Eraserhead. Henry y est le géniteur d’un enfant difforme, dont seule une tête disproportionnée sort d’un cocon enrubanné de tulles. Pour George Godwin, "le bébé est le symbole du pénis, un pénis qui, s’individualisant par rapport à son possesseur, se met à devenir une entité séparée et exigeante, échappant à la maîtrise consciente de la tête".


 

Nombreuses sont les interprétations possibles de ce bébé-monstre, toujours est-il qu’il semble bien être, symboliquement, une excroissance de l’âme malade de Henry. Il est tout à la fois l’expression de son Ça et de son Surmoi : chez Henry se réveillent des fantasmes enfouis (celui de sa voisine qu’il regarde avec une envie évidente) qu’il lui est impossible de réaliser car son bébé-monstre doit constamment être surveillé et l’empêche de vivre ses désirs (il se met à brailler quand Henry se voit enfin dragué par sa pin-up de voisine).
Henry voudrait bien, à travers lui, se débarrasser de ses angoisses ; et il tente de l’anéantir en découpant les tulles pour atteindre les organes vitaux et les perforer.
Mais il est illusoire de croire qu’en reniant ses pulsions on va les faire disparaître ; au contraire, ce n’est que leur donner plus de force, et le seul résultat auquel parvient Henry est de faire grandir démesurément son bébé-monstre. Comme il n’a pu se débarrasser de ses névroses dans une improbable paternité, Henry voit imploser son monde intérieur (la planète que la caméra avait parcourue dans les premiers plans). Ultime image d’un impossible éveil à la conscience.

Découvrir ses pulsions n’est pas nécessairement tragique. Cela peut être l’occasion de faire un voyage initiatique au fond de soi.

Ainsi, dans Blue Velvet, un adolescent, Jeffrey, va faire le dur apprentissage de l’âge adulte - le film débute du reste par la quasi-disparition de son père.
Son univers se partage entre deux mondes. Celui de l’enfance, symbolisé dans le film par une zone pavillonnaire qui ressemble à un cocon protecteur, où les portes ne sont jamais fermées car aucun inconnu n’en franchit le seuil, où la jeune fille bien sage du voisin (blonde) imagine l’amour (romantique) sous les traits de rossignols gazouillant. Et celui de l’âge adulte, caractérisé par un immeuble labyrinthique, où les portes fermées ne contiennent pas les intrusions agressives, où une femme (brune) demande à être frappée pour accepter l’amour (physique).


 

Si, à la fin du film, Jeffrey regagne son pavillon, ce n’est pas pour autant une régression : ses nouvelles expériences ont éprouvé sa naïveté (évoquée par le générique de début, où son monde avait la chimérique perfection d’un village de "playmobile"), ce qui lui aura permis de découvrir qu’en lui coexistent des émotions contradictoires et violentes - traduit en images par Lynch : en regardant de plus près le gazon trop vert entourant son pavillon, on découvre que des insectes y grouillent. Son voyage initiatique n’aura pas été vain, puisqu’il lui aura permis de s’éveiller à la conscience.

Une conscience qui permet d’accepter ses blessures intimes en apprenant à les panser lorsque c’est possible, et à vivre avec sinon.

Une Histoire vraie en est une magnifique parabole. La longue route qu’Alvin parcoure, seul, lentement, est celle de sa vie. Et les personnages qu’il rencontre - intervenant symboliquement par ordre d’âge croissant - lui rappellent les démons de son existence qu’il doit exorciser : la rupture familiale (incarnée par une adolescente fugueuse), la jeunesse enfuie (figurée par un groupe de cyclistes emportés par la vigueur de leurs vingt ans), la culpabilité d’actes ratés (en la personne d’un vétéran profondément meurtri par la guerre), et la mort qui approche (évoquée par un prêtre venu prêcher Alvin dans un cimetière où il bivouaque).


 


 

Ces rencontres, et les obstacles qui surgissent sur sa route, sont, là encore, autant de rites initiatiques qui lui permettront de dépasser ses regrets et d’atteindre la sérénité. Car ce frère, ce jumeau, avec qui il va se réconcilier, n’est autre que lui-même. Et, à travers ce dernier voyage, le vieil homme embrasse d’un même élan la vie et la mort. Il en retire une révélation apaisée : il se sent faire partie du monde ; les panoramiques et un montage en fondu l’intègre graduellement au paysage. Alvin a accompli le voyage de sa vie : se savoir être et accepter de partir. Dans le dernier plan, la caméra filme son visage serein, pivote vers un ciel constellé et se met à filer entre les étoiles : l’envol paisible de l’âme dans un univers dont elle sait faire parti.

Olivier Varlet
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

* Cf. aussi "Mulholland Drive", Jeune Cinéma n° 270, septembre-octobre 2001.


Appendice

"Alvin a accompli le voyage de sa vie : se savoir être et accepter de partir. Dans le dernier plan, la caméra filme son visage serein, pivote vers un ciel constellé et se met à filer entre les étoiles : l’envol paisible de l’âme dans un univers dont elle sait faire partie".

Lorsque, avec cette phrase, je conclus mon étude sur l’œuvre de David Lynch, que j’ai énigmatiquement intitulée "L’étrange voyage", je viens de voir Mulholand Drive et quelque chose me chagrine. L’angle d’analyse qui sous-tend cette étude repose sur l’idée que les films de David Lynch explorent l’inconscient, vont à la recherche de soi.

Or avec Une Histoire vraie, il semblait avoir franchi un cap : il avait atteint et montrait, avec apaisement, l’éveil à la conscience. Alors pourquoi Mulholand Drive était-il un tel retour à l’angoisse de la perte de soi ? J’étais désemparé. Peut-être ne voulais-je pas voir.

Maintenant, je vois : la succession chaotique de ses films où le personnage se trouve et où il se perd nous dit sans doute que la conscience n’est jamais acquise mais qu’elle est éphémère.

O.V.
Jeune Cinéma n°291, septembre-octobre 2004

1. Cf. " Elephant Man ", Jeune Cinéma n°136, été 1981.



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