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Tardes de soledad (2024)
de Albert Serra
publié le mercredi 26 mars 2025

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°434-435, mars 2025

Sélection officielle du Festival international du film de Saint-Sébastien 2024

Sortie le mercredi 26 mars 2025


 


Le film du Catalan Albert Serra a obtenu la Coquille d’or au Festival de San Sebastian. Dans sa filmographie d’une dizaine de titres, plusieurs ont été récompensés dans les festivals, notamment Honor de cavalleria (2006), Le Chant des oiseaux (2008), La Mort de Louis XIV (2016) et Pacification : Tourment sur les îles (2022). (1) Albert Serra est un cinéaste singulier et talentueux qui donne à la matière filmique, un frémissement de vie, une palpitation charnelle, un souffle à travers un art de la couleur. Tardes de Soledad est un documentaire sur la corrida, dont le personnage principal est le jeune matador péruvien Andrés Roca Rey. Le film se déroule sur une journée ponctuée par les déplacements en navette, accompagné des membres de la cuadrilla, et la séance d’habillement dans la chambre d’hôtel, une scène assez comique. Le torero, aidé par son manager, est littéralement soulevé du sol afin d’enfiler les bas en soie roses, le collant à bretelles, le chaleco, et enfin la taleguilla, la culotte moulante.


 

Vient la corrida, cœur du film. Avec une grande économie d’effets et une rigueur soutenue dans les prises de vues, Albert Serra compose ses images sans jamais quitter l’arène, comme le fait un peintre face au tableau. Filmant au plus proche de son sujet, il favorise une vision à la fois lente, contemplative et violente. Les images sont cadrées en plans fixes, et résistent à une durée inhabituelle jusqu’à l’excès, images chocs et regards d’une intensité et d’une persévérance expressives.


 

Rapports de couleurs, de rouge et d’or, de rouge et de noir. Rouge, le sang ou la muleta ; or, le sable de l’arène ou le costume du toréador ; noir, l’animal au poil profond et sombre, presque bleu tant il est foncé. Sentiments de la masse corporelle, de la chair, du poil, du sang et de la bave du taureau et sentiments de l’effort, de la concentration mentale, crispations du visage et torsions du corps du matador. Danse entre l’animal et l’homme, le taureau à la masse horizontale se positionne et attaque frontalement ; le torero, silhouette verticale, esquive en jouant des reins.


 

Tout se déroule dans l’enceinte de l’arène, lieu du drame à venir. Les différentes passes sont autant de victoires remportées sur la mort. La mort de l’animal, la mort du matador. Cet enjeu tragique en a constitué, au fil des ans, la beauté. Un aspect multiple prédomine la vision aimante de Serra pour son personnage, le narcissisme, la sensualité et la solitude. L’homme jongle avec la vie, d’un seul coup de reins, toujours prêt à y laisser sa peau, par amour-propre ou par vanité.


 

Le corps moulé comme un danseur, il célèbre la satisfaction d’être vivant et le plaisir à affronter le danger. Fier d’exposer son corps et ses formes, sa jeunesse sauvage, ses gestes et ses regards voluptueux, son silence, dans le brouhaha des voix répétitives tout au long du film : "Fils de pute !", "Tu as des couilles !". Cette "après-midi de solitude" est une splendide cérémonie à la vie, doublée d’une attirance de Albert Serra pour le mystère de la mort.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°434-435, mars 2025

* Cf. aussi "Entretien avec Albert Serra", Jeune Cinéma en ligne directe

1. La Mort de Louis XIV, Jeune Cinéma n°375-376, automne 2016 ; "Pacifiction," Jeune Cinéma en ligne directe.


Tardes de soledad. Réal, sc : Albert Serra ; ph : Artur Tort ; mont : A.S., Artur Tort & Nicolas Criqui ; mu : Ferran Font & Marc Verdaguer ; cost : Pau Aulí. Avec Andrés Roca Rey, Roberto Domínguez, Francisco Manuel Durán, Antonio Gutiérrez, Francisco Gómez, Manuel Lara (Espagne-France-Portugal, 2024, 125 mn). Documentaire.



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