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Miele (2013)
de Valeria Golino
publié le mercredi 8 octobre 2014

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°352-353, été 2013

Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2013

Sortie le mercredi 25 septembre 2013


 


Commençons par décaper le mot "euthanasie". Évitons les labyrinthes des débats truqués où règnent les sépulcres blanchis. Revenons à l’origine étymologique du mot : quand le temps est venu, qui diable est contre la "bonne mort", d’où qu’elle vienne, de soi ou d’un autre ? Aujourd’hui, dans les pays catholiques, la bonne mort, c’est comme autrefois l’avortement. Il y avait les aiguilles à tricoter, il y a les sacs plastiques gonflés à l’hélium des pauvres. Il y avait les petites pilules difficiles à quantifier, il y a les injections létales des branchés. Il y avait les voyages en Angleterre, et il y a les voyages en Suisse et en Belgique. Même parallèle pour les associations, légaliste et politique ou parallèle et pratique (1). Pour mourir chez soi, on trouve partout les recettes, dans le vieux grimoire Suicide mode d’emploi (2), sur Internet, par le bouche à oreille. Mais voilà, comme pour l’avortement, le commun des mortels a souvent des problèmes techniques et des ennuis judiciaires. Donc il a besoin d’aide, de solidarité et de savoir-faire. Il y avait les faiseuses d’anges, il y a désormais les anges de la mort.


 


 

Dans le cinéma occidental, le thème était tabou, au mieux effleuré dans une péripétie du scénario. À notre connaissance, le premier film qui aborde de front la problématique, c’est The Crime of Dr Forbes de George Marshall (1936). À la fin du 20e siècle, on a vu quelques plaidoyers bricolés. Depuis le début du 21e siècle, l’euthanasie est devenue un thème principal comme un autre, documentaires ou fictions, et elle apparait même dans les séries - Dr House par exemple (3). Parmi ces films, outre les nombreux manifestes, outre le plus célébré Amour de Michael Haneke (2012) (4), et le méconnu La Belle Endormie de Marco Bellocchio (2012) (5), citons-en deux autre : l’ignoré Thomas de Miika Soini (Finlande, 2008), et le récent Vanités - le titre est devenu Un voyage de Samuel Benchétrit (2012). Et la filmographie continue à s’allonger (6).


 


 

Avec Miele, la thématique témoigne d’un progrès : la question de la fin de vie et de la liberté de choix est désormais installée, le sujet est supposé connu. Parce qu’il y a urgence, son association "pour la mort libre et digne" agit en toute illégalité. La militante Miele (c’est un pseudo) aide à mourir les incurables.


 


 

Quand elle est piégée par un désespéré en bonne santé physique, ses convictions vacillent. "Je ne tue pas les dépressifs", affirme-t-elle. Surgie dans une routine douloureuse mais bien huilée, la phrase révèle les failles philosophiques du dispositif. Ainsi donc, même si c’est le mourant qui fait les gestes, Miele "tue". Ainsi donc, les maladies de l’âme ne sont pas au catalogue.


 


 

La question de l’argent aussi est abordée, car Miele fait payer, et cher. Elle fait "un métier de merde", lui dit une parente de défunt. C’est qu’elle a des frais, il y a l’association, et elle ne s’enrichit pas. Ainsi donc, on peut vivre sans "métier", et l’argent peut jouer, comme dans les psychanalyses, un rôle de rempart contre l’insupportable compassion. Le film, hypersensible et incontestablement engagé, navigue dans une avant-garde limpide. Parce qu’enfin, on peut toujours se foutre par la fenêtre comme le fit Mario Monicelli (1915-2010, de sa chambre d’hôpital. Et tant d’autres avant lui et depuis lui.


 


 

Nous n’avions découvert l’actrice Valeria Golino qu’en 2002, dans Respiro de Emanuele Crialese, (7) alors qu’elle avait déjà une longue filmographie depuis 1983. Pour sa première réalisation, elle a choisi une actrice à son image : une de ces douces au regard triste, Jasmine Trinca, qu’on a découverte dans La Chambre du fils de Nanni Moretti (2001) et Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana (2003). La première, dans la catégorie des anges de la mort, fut Marie-José Croze, dans Les Invasions barbares de Denys Arcand (2003). (8)

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma n°352-353 été 2013

1. En France, l’ADMD, équivalente du Planning familial, ou Ultime Liberté, équivalente du MLAC.

2. Claude Guillon & Yves Le Bonniec, Suicide mode d’emploi. Histoire, technique, actualité, Paris, Alain Moreau, 1982.
L’ouvrage a été vendu à plus de 100 000 exemplaires et traduit en six langues. Après 13 ans de procédures, il a fini par être interdit à la vente.

3. La série américaine Dr House (House M.D.), avec Hugh Laurie, créée par David Shore, en 8 saisons, a été diffusée aux USA et au Canada (2004-2012), puis en France sur TF1 (2007-2013).

4. "Amour", Jeune Cinéma n°346, été 2012.

5. "La Belle Endormie", Jeune Cinéma n°352-353, été 2013.

6. Cf. La filmographie établie par Jeune Cinéma, qui comporte environ 25 titres d’avant 2000, et une cinquantaine de titres ces dernières années.

7. "Respiro", Jeune Cinéma n°280, février 2003.

8. "Les Invasions barbares", Jeune Cinéma n°285, été 2003.


Miele. Réal : Valeria Golino ; sc : V.G. & Francesca Marciano, d’après le roman A nome tuo de Mauro Covacich ; ph : Gergely Poharnok ; mont : Giorgio Franchini. Int : Jasmine Trinca, Carlo Cecchi, Libero De Rienzo (Italie-France, 2013, 96 mn).



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