David Lynch (1946-2025) est mort mercredi 15 janvier 2025.
Depuis 2006, année de son dernier long métrage, le cinéaste n’a rien perdu de son aura, ni son œuvre de son mystère. La presse internationale (y compris les magazines de mode) est unanimement louangeuse devant celui qui aurait vu le cauchemar derrière le rêve américain.
Il était très discret, et n’aimait pas les interviews. On a quand même pu découvrir un peu de son histoire grâce à un documentaire : David Lynch. The Art Life de Jon Nguyen, Rick Barnes & Olivia Neergaard-Holm (2016), sélectionné et récompensé à la Mostra de Venise 2016.
Mais d’une façon générale, il préférait se confier sur le réseau social X. L’année dernière, en 2024, il y avait décrit son amour pour le tabac. "Mais il y a un prix à payer, et pour moi, ce prix est l’emphysème. J’ai arrêté de fumer depuis deux ans. Je suis en excellente santé, à l’exception de l’emphysème. Je suis rempli de bonheur, et je ne prendrai jamais ma retraite".
En effet, depuis 1967 - il avait 21 ans à la sortie de son tout petit premier court métrage, où il n’était même pas crédité, Six Men Getting Sick -, il n’a jamais cessé de travailler.
Et il vient de mourir, forcé d’évacuer sa maison de Los Angeles à cause des incendies, qui n’ont pas dû arranger son emphysème, avec une série en post-production, Unrecorded Night.
Au départ, il a fait des études d’arts plastiques. Depuis lors, il n’a jamais cessé de peindre, et à partir de 1980, d’exposer, s’abstenant de dévoiler le sens énigmatique de ses peintures.
Son œuvre cinématographique, elle, est multiforme, vidéos, clips musicaux, téléfilms, une multitude de courts métrages, et même des spots publicitaires (pour Gucci ou Dior), avec seulement 10 longs métrages, entre 1977 et 2006, tous devenus des classiques, quel que soit leur genre, et leur succès au box office.
Il convient, évidemment, dans cette œuvre, d’insister sur la série télévisuelle Twin Peaks, créée avec Mark Frost. Il s’agit d’une simple enquête policière : "Qui a tué Laura Palmer ?" Avec un récit tortueux, des séquences de rêve, une bande-son remarquable, la première saison, en 1990, a d’abord enthousiasmé le grand public. Pour la suite, la réception a été aussi irrégulière que l’ensemble était biscornu : une deuxième saison en 1991, son "préquel" Twin Peaks : Fire Walk with Me (1992), suivi en 2017 d’une 3e saison, une sorte d’appendice, censé apporter des explications, Twin Peaks : The Return. Mais désormais, l’ensemble Twin Peaks constitue un point d’orgue de l’œuvre de David Lynch, une sorte d’apogée, son essence même, et est considéré comme ayant révolutionné le paysage audiovisuel avec sa singularité.
Pour ce qui concerne ses 10 longs métrages, malgré leurs différences, ils ont tous issus d’une même veine, obsessionnelle, visionnaire, "surréaliste", un terme galvaudé aujourd’hui mais, ici, parfaitement justifié.
Sauf, peut-être Une histoire vraie (The Straight Story, 1999).
Pour son premier longs métrage, Eraserhead (1977), on raconte que Mel Brooks, sortant d’une projection, lui aurait dit "Tu es un fou ! Je t’aime !"
À Jeune Cinéma, on avait tout de suite compris l’importance du cinéaste, notamment avec Elephant Man (1980), avant même ses huit nominations aux Oscars et son César du meilleur film étranger 1982), et, malgré la différence entre ses deux premiers films (le premier expérimental et le second d’après un livre de des mémoires et des faits réels, on avait distingué le surgissement d’un "auteur".
Et en 2001, au début du 21e siècle, on avait fait un premier bilan, jusqu’à son avant-dernier film, Mulholland Drive (2001), dévoilant un cheminement : Regarder vers l’intérieur, pour se redécouvrir, et, peut-être, s’éveiller à la conscience.
Depuis son dernier long métrage, en 2006, Inland Empire, et, dans l’apparent silence de ces dernières années, pour qui ne suivait pas de près son travail, David Lynch semblait être définitivement classé comme un cinéaste "somnanbule", à la fois inspiré et hermétique, et comme un homme pratiquant la méditation transcendantale depuis 1973, et votant pour Bernie Sanders. En 2005, il avait créé la Fondation David-Lynch pour la paix mondiale et une éducation fondée sur la conscience,
Mais Nicolas Cage, qui a tourné sous sa direction dans Sailor et Lula (Wild at Heart, 1990), Palme d’or au Festival de Cannes, lui a rendu un hommage inattendu. "Il avait un sens de l’humour joyeux. Je ne me suis jamais autant amusé que lorsque j’ai travaillé avec lui" a-t-il déclaré, évoquant ainsi une autre face d’un artiste inclassable, incomparable.
À part Dune (1984), qui fut un échec cuisant, tant du point de vue de la critique que de celui du public, dont il n’eut pas le final cut, puis qui, avec la patine du temps, devint une film "culte", les longs métrages de David Lynch ont été couverts de récompenses. À 73 ans, il a reçu un Oscar d’honneur en 2019.
Sur Arte : David Lynch, une énigme à Hollywood de Stéphane Ghez (2024).
Cf. aussi Pour le plaisir des amateurs :
* David Lynch, plasticien.
* David Lynch clip et musique