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Journal de Shi-Wei (édito 2022)
Édito
publié le samedi 1er janvier 2022


 

ÉDITO 2022

 



Les traditionnels bilans de la fin de l’année 2021 ont égrené les faits importants au long des mois, la plupart étaient des tragédies, incendies, inondations, naufrages, guerres, menaces de guerre, massacres, et toujours la pandémie due à un virus protéiforme.
Ce qui nous a paru le plus irréparable, le plus écrasant, c’est l’échec de la Cop26, à Glasgow. Cette impossibilité de s’entendre, pour de nécessaires efforts communs de décroissance, alors même que tous reconnaissaient que c’était "la dernière chance", admettant ainsi qu’ils savaient, depuis 1972, les risques et le temps qui filait (1), c’est un constat d’incompétence et de paralysie, c’est comme un désespoir.

L’année 2022, une année de tous les dangers parmi d’autres, Jeune Cinéma regarde Shi-Wei, une petite fille chinoise.
On est en 1970, elle a à peu près dix ans. Après l’échec du Grand bond en avant et la grande famine qui a suivi, ses parents, des intellectuels, ont été envoyés à la campagne dans les champs, pour apprendre ce qu’était le vrai travail. Alors elle vit seule avec sa sœur dans sa maison. Elles savent se débrouilller pour leur vie quotidienne et s’amusent bien.


 

Shi-Wei est une bonne élève, appliquée, elle lit mieux que personne le petit livre rouge, et va régulièrement à son "groupe de propagande", elle n’a pas encore l’âge pour être Garde rouge. Dans cette liberté encadrée de loin, elle apprend la vie sur le tas. C’est marrant avec les copines qui sont dans le même cas. C’est plus dur dans la rue, quand elle croise les garçons (bien indisciplinés, dirait-on) du Projet ouvrier, venant de la classe désormais dominante (le prolétariat), en bande, hargneux, qui la harcèlent, la traitent de lèche-cul, de sale chienne d’intellectuelle puante, de garçon manqué, lui piquent ses jouets ou brûlent les cheveux de sa sœur. Dans ces circonstances, les citations du "soleil rouge de nos cœurs" ne servent à rien. Heureusement que la mère a de temps en temps des permissions, qui peut lui donner alors une vision du monde officieuse et affectueuse, raisonnable, sans lui révéler les trop lourds secrets, et si souvent honteux, des grandes personnes : "Bats-toi avec malice, mais d’abord protège-toi". À chaque jeu, à chaque épreuve, à chaque consolation, la petite fille chinoise écoute, réfléchit, comprend.

Qu’a-t-elle compris, en ce temps-là, Shi-Wei qui a fait sa vie le mieux qu’elle pouvait, et a commencé sa cinquantaine cette année ? Peut-être qu’il fallait changer de pays si on voulait trouver une juste voie médiane entre vie privée et pensée publique. Et aussi, sans doute, que ça ne suffirait pas à un avenir serein. (2)


 

Que comprend aujourd’hui dans le monde, une petite fille masquée, en formation, une Terrienne désormais, qui aura 20 ans en 2032 ? Que les adultes sont absents ou impuissants, que les capitaines sont fous ou irresponsables ? Que les machines sont à manier avec prudence et sagesse ? Que ça ne va pas pouvoir continuer comme avant, qu’il va falloir s’adapter et retrousser ses manches ? Que dans les rues des villes immenses, il vaut mieux ne pas montrer qu’on a peur ? Qu’on lui aura volé son enfance et leur futur ?

Anne Vignaux-Laurent
 

1. Le Rapport Meadows commandé par le MIT et le Club de Rome, date de 1972.

2. Le film est autobiographique. Wang Xiao-Yen vit à San Francisco.


* La Môme singe (The Monkey Kid) de Wang Xiao-Yen (1995).
Shi-Wei : Fu Di ; la mère : Shu Fang ; l’institutrice : Yang Lin ; le petit coq du Projet ouvrier : Xiao Hua
Sélection Un certain regard au Festival de Cannes 1995.
 



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